Nous pouvons affronter plus sereinement la vie, convaincus qu’elle n’est pas absurde et que ne sommes pas seuls.
Abbé Edmond Théodore Vaz
Chers amis,
Les amoureux de la chanson française connaissent probablement celle où Jean Jacques Goldman dit « Tu es de ma famille, de mon ordre et de mon sang, celle que j’ai choisie, celle que je ressens dans cette armée de simples gens. » Chaque fois que nous célébrons la Toussaint, je ne peux m’empêcher de penser à cette chanson dans la mesure où tous les saints que nous honorons en ce jour, et dont nous implorons l’intercession, sont de notre famille.
Avant de parvenir à la vie bienheureuse du Ciel, ils étaient des gens de notre ordre, des gens ordinaires, des êtres faits de chair et de sang qui, sans vouloir s’évader de leur condition humaine, ont cheminé dans l’esprit des béatitudes à la suite du Fils l’Homme. Alors, quand l’Eglise nous donne aujourd’hui de faire solennellement mémoire de tous les saints dans une même fête, c’est parce qu’elle croit, qu’au-delà de ceux et de celles qu’elle a déjà béatifiés ou canonisés, il y a justement, comme nous le dit le Livre de l’Apocalypse, « une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. »
Vous comprendrez alors quelle fut ma surprise, quand un jour, dans ma paroisse d’origine, un ami qui s’était radicalisé – ne croyons pas que le radicalisme est l’apanage des musulmans – défendait l’idée selon laquelle il n’y avait qu’un nombre assez limité qui sera sauvé, sous prétexte qu’il l’avait lu dans un livre dont l’imprimatur était certainement des témoins de Jehova. Comme si Dieu aurait créé ses enfants pour que la majeure partie aille bruler en enfer. Le Paradis de Dieu serait-il plus petit que l’Enfer ? Le Mal l’emporterait sur le Bien ?
Parmi les saints que nous fêtons aujourd’hui, non seulement nous pouvons compter ceux qui sont connus ou inconnus du calendrier liturgique, mais aussi nos ancêtres, nos grands-parents, nos parents, ceux et celles que nous avons connus et aimés ; ceux qui, parmi nous, ont vécu dans l’esprit des béatitudes, qui nous ont devancés dans la maison du Père et qui, après les épreuves et les souffrances de cette vie ou du purgatoire, « ont lavé leurs vêtements » et « les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. »
Et c’est en ce sens que, dans Gaudete et Exsultate, le Pape François nous invite « à reconnaitre que nous sommes enveloppés « d’une si grande nuée de témoins » (He 12, 1) qui nous encouragent à ne pas nous arrêter en chemin, qui nous incitent à continuer de marcher vers le but. Et parmi eux, il peut y avoir notre propre mère, une grand-mère ou d’autres personnes proches (cf. 2 Tm 1, 5). Peut-être leur vie n’a-t-elle pas été toujours parfaite, mais malgré des imperfections et des chutes, ils sont allés de l’avant et ils ont plu au Seigneur. »
Ce jour est donc un jour d’action de grâce et un jour d’espérance. Action de grâce parce que les membres de notre famille du ciel, « déjà parvenus en la présence de Dieu, gardent avec nous des liens d’amour et de communion », de sorte que « nous nous [savons] entourés, conduits et guidés par les amis de Dieu » ; et espérance parce que nous pouvons affronter plus sereinement la vie, convaincus qu’elle n’est pas absurde, que tout ce que nous vivons, combattons ou supportons a un sens.
Cela devrait nous motiver plus que jamais du fait que d’autres nous ont devancés sur le chemin, et, sans jamais baisser les bras, ils ont couru jusqu’au bout l’épreuve qui leur était proposée. Un jeune collégien me dit un jour que sa principale source de motivation pour figurer au tableau d’honneur, c’était de se dire que ceux et celles qui y figurent ne sont pas plus intelligents que lui et que s’ils y sont parvenus, alors lui aussi y parviendra qu’importe les efforts et les sacrifices. C’est ce genre de motivation que cette fête devrait susciter en nous.
Quand le pape François dit : « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez les parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire », et que « dans cette constance à aller de l’avant chaque jour » il voit « la sainteté de l’Eglise militante », « la sainteté « de la porte d’à côté », de ceux qui vivent proches de nous et [qui] sont un reflet de la présence de Dieu », c’est pour attirer notre attention sur le fait que nous baignons déjà dans la sainteté.
Comme le faisait remarquer saint Joseph de Cupertino, « ce n’est pas au paradis que se fabriquent les saints. C’est sur Terre. » Aussi pouvons-nous affirmer que la fête de la Toussaint est aussi la nôtre, nous qui cheminons encore ici-bas. Car bien que ce que nous soyons ne parait pas encore clairement, la « sainteté est le visage le plus beau de l’Eglise. »
Ce qui fait la beauté de ce visage, c’est la diversité de ses états de vie, de ses charismes et des dons à travers lesquels la sainteté se manifeste dans le quotidien de nos vies. Il suffit d’écouter la litanie des saints où, en différents aspects, la sainteté est déclinée dans toute sa beauté : la Vierge Marie, les archanges, les anges, Saint Joseph, nos Pères dans la foi, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Grands Génies de l’Eglise, les papes, les prêtres, les consacrées, les cloitrés, les contemplatifs, les missionnaires, les époux et les épouses, les saints de nos familles ; nous pouvons même ajouter, au regard des évangiles et de l’histoire récente, les brigands, les prostituées, les esclaves, etc.
Ne serait-ce pas alors un affront à la sainteté et à l’œuvre du Saint Esprit que de penser ou d’agir comme si la voie que nous suivions était la plus à même de conduire tout le peuple de Dieu à la pleine réalisation de sa sainteté ? Il ne faudrait pas que notre état, mode ou style vie soit présenté aux yeux tous comme une référence.
Le Christ seul est le Chemin, la Vérité et la Vie. Il ne veut perdre aucun de ceux que le Père lui a donnés. Pour l’honneur et la gloire du Père, il les conduit par de justes chemins, bien qu’ils leur soient parfois inconnus, différents et aussi insoupçonnés les uns que les autres. Et c’est la raison pour laquelle quelqu’un disait que les saints sont des modèles de sainteté, mais que la meilleure manière de passer à côté du saint que nous sommes en puissance ou que nous aurions dû être, c’est de vouloir les imiter dans les moindres détails de leur vie.
Alors, à la suite de cette foule innombrable de témoins, puissions-nous, chacun à son rang et selon ce qui lui est donné du Ciel, crier Jésus Christ sur les routes du monde pour qu’un jour, Dieu daigne nous accueillir dans leur compagnie, sans nous juger sur le mérite mais en accordant son pardon, par le Christ, notre Seigneur.